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La démocratie : un grand écart de 2500 ans

Article proposé le vendredi 7 novembre 2008, par Thierry Delaveau


La démocratie ne s’écrit plus, de nos jours, sans qu’il lui soit accolé un nom destiné à définir de quelle démocratie on parle. De fait, nous n’avons plus une démocratie, la démocratie, mais des démocraties se déclinant selon une définition toujours plus restrictive, quand elle n’est pas surprenante, de la pratique démocratique. Ainsi, et ce depuis quelques décennies, avons-nous vu fleurir autant de démocraties que d’institutions ; démocratie représentative, participative, parlementaire, présidentielle, libérale, socialiste, populaire, locale et j’en passe. Noyée dans cet amas d’épithètes, la démocratie y perd son grec !

Car en fait, qu’est-ce que la démocratie ?
Et d’où vient-elle ?

Pour y répondre, il nous faut remonter 2500 ans en arrière, au Ve siècle avant J-C, dans la Grèce d’Athènes, lieu où s’exprima durant deux siècles la démocratie pleine et entière, entendez par là, sans épithètes.

C’est dans une tragédie grecque de la même époque, « Les Suppliantes », pièce écrite par Eschyle, que le mot « démos » (peuple) fut rapproché pour la première fois du verbe « kratein » (commander, régner).

Démos-kratein (démocratie), le gouvernement par le peuple, est la définition par excellence de ce qu’est la démocratie dans l’Athènes du Ve siècle avant J-C. La souveraineté appartient au peuple, et par conséquent, la démocratie devient le régime qui s’oppose non seulement à l’aristocratie (le gouvernement par l’élite, par ceux qui se considèrent comme les meilleurs, les « aristoi »), mais aussi à l’oligarchie (le pouvoir dans les mains d’une minorité, d’un groupe restreint et privilégié) et à la monarchie (le pouvoir d’un seul).

Une transformation radicale s’est donc opérée dans l’Athènes d’il y a 2 500 ans, avec le surgissement d’une création collective qui donna naissance dans le même temps à la démocratie et à la philosophie. Démocratie et philosophie furent intimement liées dès l’origine, et elles ne pouvaient exister l’une sans l’autre, puisqu’elles participaient toutes deux d’une même réflexion, dans la remise en question des institutions politiques existantes. Une société composée de citoyens, c’est-à-dire d’hommes libres et égaux, avait pour la première fois l’occasion de créer des moyens institutionnels, au sein desquels le peuple exercerait sa souveraineté, en participant de manière effective aux décisions concernant la vie de la cité, et en votant les lois de sa propre gouvernance.

Cependant et avant d’aller plus loin, il me faut ici préciser les choses, afin qu’il n’y ait aucun malentendu. La démocratie athénienne ne fut pas parfaite, loin s’en faut. L’esclavage y était pratiqué et les femmes n’avaient pas droit au vote, au même titre que les métèques (étrangers installés à Athènes) et les esclaves. Par conséquent, plutôt que de considérer la démocratie athénienne comme un modèle, regardons la ici, et à la suite du philosophe Cornélius Castoriadis, comme le germe d’un processus encore à l’œuvre, un régime à soumettre au feu de la critique, et le lieu où,
malgré les réserves évoquées, la souveraineté populaire est allée le plus loin dans l’exercice démocratique.

Pour tout dire, la démocratie représentative serait une absurdité, une contradiction totalement inconcevable dans l’esprit d’un citoyen de l’antique Athènes. Le peuple n’a de meilleur représentant que lui-même. Quant à parler de la démocratie participative, c’est commettre un pléonasme, une répétition inutile, puisqu’il ne peut y avoir de démocratie sans la participation effective des citoyens, c’est la nature même de son existence. Autre chose, la démocratie pratiquée par les Grecs de l’antiquité n’était pas élective mais procédait par tirage au sort et rotation des charges, ce qui rendrait caduque aujourd’hui toute campagne électorale.

Les historiens s’accordent à dire que l’ensemble des citoyens athéniens mâles adultes composant le « démos », le peuple, s’élevait entre trente et quarante mille. Ce corps de citoyens se réunissait régulièrement sur la place publique, l’agora, pour discuter, argumenter, confronter encore et encore les opinions politiques relatives à la vie de la cité. Ils pratiquaient alors ce que l’on peut reconnaître comme étant deux attributs fondamentaux de l’expérience démocratique, c’est-à-dire « l’isègoria », l’égalité et le droit de parole, et la « parrhèsia », la véracité, la sincérité du discours, le franc parlé. Cette originalité se retrouve notamment à « l’Ekklèsia », l’Assemblée, lieu où se discutent et se votent les lois, à laquelle participent tous les citoyens. Les décisions politiques concernant la vie de la cité sont toujours le fait du peuple. Des institutions démocratiques sont là pour y satisfaire. Aux côtés donc de l’Assemblée du peuple, il y avait la « Boulè », conseil formé par cinq cent citoyens tirés au sort, dont le rôle fut en général de fixer l’ordre du jour des questions destinées à être débattues au sein de l’Assemblée. A cela s’ajoutaient les tribunaux composés de jurys citoyens, là encore tirés au sort. Il a été calculé qu’un citoyen athénien exerçait une fonction publique au moins deux fois dans sa vie par le fait du tirage au sort. Je ne peux m’étendre ici sur l’étendu du processus institutionnel démocratique de l’Athènes du Ve siècle avant J-C, la place manque. Imaginez seulement que le Président de la République soit tiré au sort ! C’est pourtant ainsi que les magistratures étaient désignées. Rappelons que dans la démocratie athénienne, la souveraineté n’est pas celle d’un seul homme, mais celle du peuple. Dans une démocratie digne de ce nom, seul le peuple décide.

Pour finir, la démocratie, telle que l’inventèrent les Grecs d’Athènes, fut le lieu par excellence de la confrontation des opinions, de l’auto-formation des citoyens au gouvernement de la cité, de la lutte pour la liberté par des hommes à l’esprit critique particulièrement aiguisé. Thucydide écrivait à ce propos : « Nous sommes en effet les seuls à penser qu’un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile. » Autre élément d’importance quant à la démocratie, ce fut également le lieu de « l’isonomia », l’égalité de tous devant la loi.

En regard à tout cela, que penser d’une société telle que la nôtre, dite démocratique, où le pouvoir est confisqué par une minorité représentative d’un parti politique, et alors que la parole et l’opinion citoyennes sont absentes du débat politique, que les lois et les décisions se votent et se prennent en dehors de toute considération populaire, que l’égalité de tous devant la loi ne se vérifie nullement dans nos relations aux institutions et dans nos rapports humains ? Pouvons-nous encore nous référer et nous vanter d’une pratique démocratique ? Je crains bien que la réponse soit négative. En conclusion, et pour ne pas terminer sur un constat d’échec, il y a fort à penser que s’il reste encore au moins un projet révolutionnaire à réaliser, c’est bien celui qui nous invite à réinventer la démocratie, et à reprendre le processus là où il s’est arrêté…

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