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Quelle place pour les femmes et jeunes filles dans les quartiers ?

Article proposé le jeudi 3 mars 2011, par Hanifa Tahar


La spécificité d’un secteur classé ZFU, est qu’il concentre une forte population
fragilisée socialement et économiquement. Et c’est ce contexte particulier qui favorise ou du
moins surenchérit la domination masculine. Je m’explique : il y a une corrélation réelle entre
le délabrement progressif, mais certain, de l’environnement des zones à forte concentration de
population étrangère (ou d’origine étrangère) et la crise économique et sociale que connaît le
pays. Rapidement, ces zones vont être le terrain de prédilection de la misère sociale. Ceci va
alors contribuer à une valorisation revue à la baisse de l’image mentale des grands ensembles
(représentation sociale négative des banlieues). Mais parallèlement, du même temps que
le paysage des grands ensembles décline, l’image et le ressenti des habitants se dégradent.
vue du Mirail {JPEG}
Durant trois décennies, le gouvernement français (dé)laisse les parcs HLM se transformer
en ghettos urbains, frappés par un fort taux de chômage, d’échec scolaire et d’insécurité. Au
quotidien, les habitants vivent un sentiment d’exclusion et une crise identitaire de plus en
plus difficile (entre-deux identitaires et culturels pour les enfants issus de l’immigration).
Ils rencontrent des difficultés à identifier et à intérioriser les normes sociétales, ce qui
induit un dérèglement. Tout ce climat de précarisation se traduit, progressivement, par un
repli communautaire et religieux grandissant
où violences et jeux de pouvoir sont de
rigueur. Les banlieues sont, on peut le dire, les derniers remparts de la domination masculine.
L’injonction du genre et de la virilité fait loi : preuve de virilisme pour asseoir un semblant
de reconnaissance vis-à-vis des pairs. Et par commodité, on s’attaque, on s’en prend « aux
plus faibles » = les femmes. Au final, les stéréotypes de genre impulsent l’enfermement des
individus dans les rôles sexués.

C’est pourquoi, pour comprendre comment les filles et femmes évoluent dans les
quartiers, il faut saisir l’articulation espace privé et espace publique.

Le premier renvoie à tout
ce qui concerne le domaine de la famille, de la sexualité, des enfants, en bref au domestique,
lieu où se créent les relations familiales et/ou amicales.

Le second, quant à lui, est à voir
comme l’inverse du privé, c’est-à-dire, les endroits extérieurs au domestique, au foyer (la
rue, le parc, les commerces…). La distinction entre ces deux espaces de vie est la clé quant
au devenir du paysage social des quartiers. En effet, cette séparation contribue à nourrir les
clivages entre les femmes et les hommes car elle renforce, maintient les stéréotypes liés au
sexe (ou genre), et où les rapports sociaux de sexe jouent un rôle primordial.

En plus simple : la sphère privée est le lieu de la transmission familiale et culturelle.
Or, dans les familles maghrébines (population dominante dans les cités), il est d’usage que la
fille, la femme, évoluent essentiellement à l’intérieur (puisqu’elles ont la charge de l’entretien
du foyer et du maintient de la famille) ; et le garçon, l’homme, à l’extérieur. L’indicateur
culturel est alors la raison avancée pour expliquer le contrôle social de l’espace qu’opèrent
les hommes sur les femmes. Encore une fois, la domination masculine conditionne les
relations femmes – hommes car sous prétexte du religieux (une musulmane qui se respecte,
soi-disant, se doit de se tenir loin de l’Homme Inconnu, loin des lieux masculins afin de
préserver sa pudeur, son respect), et du qu’en dira-t-on (là aussi, la réputation est un moyen
comme un autre pour les hommes d’avoir le contrôle sur les femmes – l’esprit village est
recrée dans les quartiers), les hommes maintiennent les femmes hors des lieux publics pour la
cantonner dans la sphère privée (la maison, la famille).

L’occupation du terrain, son contrôle social et son appropriation spatiale par les hommes font
que le public féminin se fait discret, pour ne pas dire rare. Les hommes se retrouvent à
l’extérieur, sur la place du marché, sur les bancs, à l’entrée des immeubles, sur les terrasses
des cafés… A-t-on jamais vu les femmes, ou les jeunes filles « tenir les murs » ? Même dans
l’utilisation de l’espace public, elles se retrouvent « enfermées » : elles se retrouvent,
essentiellement, dans les structures officielles (bureau de poste, la CAF, enceinte d’école,
PMI…). D’ailleurs, la configuration de l’espace du Quartier, elle-même contribue à
l’invisibilité des filles/femmes et donc à leur exclusion. Car, au travers de la proposition
spatiale qui leur est offerte, les filles/femmes s’enferment, d’accord ou pas (ont-elles le choix
d’ailleurs ?) dans les stéréotypes de genre…car c’est bien de ça qu’il est question ici. Les rues
deviennent sexuées par tranche horaire : aux heures des entrées et sorties des classes, du
marché, des courses, etc., elles se féminisent. Ainsi, tout comme l’aménagement du territoire
pensé par la ville, entretient et maintient les injonctions de genre, les activités proposées dans
le quartier sont aussi à remettre en question. Autrement dit, si les espaces sont sexués, les
activités le sont aussi. Dès lors, le rôle social dans lequel on place les habitantes serait défini,
entre autre, par les activités proposées puisque ces dernières sont de l’initiative des
intervenant-e-s des dites structures. Qu’est-ce qu’on propose aux filles/femmes ? Des activités
pour les « mamans » comme la gym, la détente, des activités avec bébé ; ainsi que des
activités du type cours de danse/cuisine, couture, sports dits « féminins » ; assister à des
événements précis (organisation de mariage, période de ramadan - ateliers gâteaux,
maquillage, décoration, préparation de la fête…) ; en bref, des activités qui rendent invisibles
les filles et femmes dans le paysage de la cité
, car elles s’opèrent à l’intérieur, enfermées.

On peut ici faire l’hypothèse que le type d’activités proposées, dans le fond et la forme, est
clairement lié aux représentations développées sur ces jeunes filles/femmes et sur leur
environnement social et familial. Il y a un tel ancrage de ces stéréotypes dans l’esprit des
individus qu’il est alors difficile (mais pas impossible - !) de se sortir de ces carcans. Pas
étonnant qu’avec la stéréotypie de la femme liée à l’image de la mère ainsi que la
représentation des femmes/filles par l’instance publique (les politiques de la ville notamment)
contribuent grandement à l’invisibilité de ces dernières. On les traite seulement,
principalement comme des « mères »… Par conséquent les filles vont ailleurs. Ces dernières
ne se reconnaissant ou plutôt ne se sentant pas à leur place dans l’environnement pesant,
archaïque et sexiste qu’offre leur quartier, vont hors de celui-ci pour « vivre », trouver une
certaine reconnaissance qui leur fait défaut encore et toujours. Invisibles dans les quartiers,
certes, mais omniprésentes en centre ville et ailleurs, ces filles/femmes tentent timidement,
souvent vainement, à se réapproprier l’espace public : elles fréquentent de plus en plus les
associations locales, ouvrent des commerces, elles deviennent actives pour la vie de la
communauté (travailleuses sociales)…

Comment alors faire pour que les choses changent, pour les aider à sortir de cette
invisibilité qui les condamne à être des laissées-pour-comptes, des victimes ?

Article publié dans « Le Sept » 135 - Décembre 2010

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