Je me souviens que dans ma petite enfance, au moment des vendanges, on nous
recommandait de ne pas ramasser les grappillons car ils étaient destinés « aux
pauvres ». Après les vendanges, ceux que l’on appelait « les nécessiteux » avaient le « droit de
grappille » qui consistait à récolter les grappillons laissés par les vendangeurs.
Ainsi, souvent sans le savoir, les vendangeurs qui épargnaient les grappillons
mettaient en application le commandement divin millénaire que l’on trouve en Deutéronome 24,
21 : « Si tu vendanges ta vigne, tu n’y reviendras pas grappiller ; ce qui restera sera
pour l’émigré, l’orphelin et la veuve ».
Ceux qui sont visés par ce geste de charité agricole sont donc les étrangers et tous ceux
dont les moyens de subsistance sont en danger, les précaires.
Cette tradition s’est perpétuée tant bien que mal au cours des siècles. En 1 779, le
parlement de Toulouse, ainsi que bien d’autres villes de France, prennent des arrêtés pour
limiter au maximum l’usage du glanage. On reproche souvent à l’époque « à des hommes et
femmes vigoureux » de prendre ce qui doit revenir aux « c pauvres âgés infirmes et leurs
enfants qui doivent seuls être admis, dans leur commune, à recueillir cette légère rétribution
que la charité laisse à l’emploi de leur force et de leur temps » (Projet de code rural par I-P
Ardant -1 81 9).
Mais aujourd’hui nous avons quelque mal à imaginer les privés de papiers étrangers et les précaires au RSA en train de grappiller dans les vignes ! De toute façon, il y a belle lurette que les grappillons sont indifféremment ramassés par les machines à vendanger dont le cœur mécanique n’a cure des plus déshérités.
Aujourd’hui la nourriture est produite de manière industrielle et l’agriculture intensive
et mécanisée ne semble plus directement concerné par le glanage. Et pourtant…
Et pourtant les glaneurs sont de plus en plus nombreux aujourd’hui. Des glaneurs qui
guettent l’énorme gaspillage alimentaire produit par l’industrialisation, la commercialisation, nos
habitudes alimentaires, les circuits longs de distributions, etc, etc. La pomme de terre ou la
tomate qui n’entre pas dans la calibreuse du circuit de distribution va se retrouver la plupart
du temps jetée en plein champ. Le fruit plus tout à fait vendable, bien que tout à fait
comestible, va se retrouver dans les poubelles de la fin du marché. Et on jette par tonnes des
denrées alimentaires pour des questions de quota ou pour ne pas faire chuter le cours du
produit. Ainsi des groupes de glaneurs modernes, chassant les gaspillages alimentaires,
tentent de récupérer ces denrées.
Les Banques alimentaires, en rapport avec la grande distribution, tentent aussi de limiter le
gaspillage en visant les plus précaires et fragiles aux travers des associations. Une
forme de « droit de grappille » moderne.
« Ce qui restera sera pour l’émigré, l’orphelin et la veuve » : oui, ils sont encore
nombreux ceux qui sont heureux avec « les restes » de notre hyper-consommation. Car
pour beaucoup, l’intérêt n’est pas de connaître la qualité biologique de ce qu’ils ont dans
l’assiette, mais d’essayer qu’elle soit pleine.
Dans ce Sept consacré à l’alimentation, il serait impossible d’aborder tous les sujets que cela recoupe. Depuis la production jusqu’à la santé, l’alimentaire concerne un grand pan de notre vie
quotidienne. Voici donc quelques articles sur des initiatives locales en lien avec l’alimentation,
des recettes, de l’histoire… A consommer sans modération !
T. Faye