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ICI, ENSEMBLE, MAINTENANT….

Entretien publié dans le journal « Ici, Ensemble », numéro 3 (novembre/décembre)

Article proposé le dimanche 2 décembre 2007, par Jean-Louis


Depuis 10 ans maintenant, le Rassemblement a tissé des liens solides avec différentes associations. Quelle est la nature de ce compagnonnage ? Comment se pratique-t-il ? Le texte qui suit est le compte-rendu de 2 entretiens avec les responsables de 2 de ces associations : Toulouse Ouverture (TO7) et La Pastorale des Migrants.

1. Jean-Pierre, Marcel, Brigitte :

JP : Je suis pasteur de l’Eglise Réformée de France.
J’ai exercé mon premier poste dans les Cévennes. Ce n’est pas neutre par rapport au sujet qui nous occupe car durant la seconde guerre mondiale, les montagnes cévenoles ont été une terre d’accueil. Pendant mon ministère, j’ai eu la chance de travailler avec des hommes et des femmes qui incarnaient cette tradition de l’accueil.

Après 7 ans de ministère en milieu rural, j’ai accepté de devenir l’accompagnateur de T07 (Toulouse Ouverture). C’est un poste d’action sociale. En tant que directeur associatif, j’ai pris contact avec le Rassemblement et j’ai rencontré Marcel.

Le Rassemblement et TO7 sont très liés. Depuis une dizaine d’années, les sans-papiers sont très présents à TO7. C’est pourquoi nous nous appuyons sur le travail du Rassemblement pour accompagner les personnes et les orienter.

TO7 « maison des chômeurs » est devenu peu à peu une maison de quartier avec une part importante réservée à l’accueil des sans-papiers. Pour exemple, notre activité d’alphabétisation. Nous avons pris le parti d’ouvrir les cours à toute personne désirant apprendre le français et je dirai en priorité aux sans-papiers qui n’ont pas accès aux organismes officiels.

Notre travail avec le Rassemblement prend ici tout son sens.
C’est un vrai compagnonnage : nous nous connaissons, nous nous apprécions. Nous sommes beaucoup plus sensibilisés sur la question des sans-papiers grâce aux prises de position et à la vigilance du Rassemblement.

B : Justement, ton regard sur les sans-papiers a-t-il changé ?

JP : Oui, il s’est transformé par la rencontre des visages.
Un pasteur des Cévennes pendant la seconde guerre mondiale écrivait dans les bibles de ses paroissiens qui cachaient des familles juives un verset du prophète Esaïe : « Tu ne te déroberas pas devant celui qui est de la même chair que toi » (58,7). Nos jours ne sont pas ceux de l’oppression nazie, mais ce verset d’Esaïe je le fais mien quand je suis en présence de ces hommes et de ces femmes que l’on nomme les sans-papiers.

Ce que j’apprécie le plus dans le Rassemblement c’est que vous insistez sur la nécessaire participation des sans-papiers à un projet de société.
La question des sans papiers ne se réduit pas à l’obtention ou non de documents ; d’une part, il s’agit d’accueillir, de reconnaître comme « sujets » des hommes et des femmes qui vivent déjà parmi nous, d’autre part, d’œuvrer ensemble à la construction d’un avenir que nous avons en commun.

B : Tu sembles lier la question des sans-papiers et l’évolution de TO7 vers une maison de quartier…

JP : La question des sans-papiers traverse tout le quartier par le jeu des personnes qui se retrouvent ici, par l’implantation d’un CADA (Centre d’Accueil des demandeurs d’asile) sur le quartier, etc… Les familles en attente de papiers sont devenues une des réalités du quartier.

Nous avons avec vous la responsabilité d’accueillir les personnes mais aux yeux des habitants c’est le Rassemblement qui mène en première ligne le combat.
Notre travail à TO7 se manifeste par une volonté de faire connaître au plus grand nombre la situation des personnes. Cela se traduit par des repas-débats, des articles sur le site « To-Mirail » et le journal « le Sept », des appels à manifester …
Nous sommes en quelque sorte une caisse de résonance par rapport au Rassemblement.
Ajoutons que toute l’équipe de TO7 sait que dans le même temps le Rassemblement peut à tout moment intervenir pour telle famille, telle personne, telle situation très précise…

B : T07 a participé à la journée du 22 Mars, journée d’amitié politique entre les habitants du pays.

JP : « Amitié politique » : il faut vraiment expliquer cette expression, cela ne va pas de soi. L’amitié se vit entre des personnes qui se connaissent. Il me semble que votre intention est de mettre en avant une cause politique.
Faire preuve de solidarité, d’humanité envers les personnes c’est déjà beaucoup mais cela ne résout pas tout. Pour infléchir la loi sur l’immigration, il faut évidemment politiser la question et ne pas s’arrêter à des cas isolés.

M : Au Rassemblement, on ne prend pas l’état mais le peuple comme centre de la politique. Du coup, l’amitié a toujours été au coeur de notre pensée politique : on s’appelle « LE RASSEMBLEMENT DES OUVRIERS SANS-PAPIERS ET LEURS AMIS », parce que quand on a cherché à se définir, nous qui avions des papiers, étions français pour certains, mais partagions la bataille pour la régularisation et le respect de tous les habitants du pays, nous refusions cette idée de « soutien », qui suppose que le soutenu ne peut se tenir debout seul, et nous avons trouvé ce terme d’ami pour définir notre relation aux sans-papiers.

JP : La politique à l’encontre des sans-papiers vise à voiler le réel. A travers les initiatives du Rassemblement, les ouvriers sans-papiers affirment : « Nous sommes là, nous n’avons pas envie de nous cacher, de fuir. » C’est très important pour moi. Pour moi, c’est ça le réel.
C’est d’autant plus important que les sans-papiers sont pour beaucoup de gens une menace et malheureusement ce sentiment se renforce avec le discours du gouvernement qui appuie cette idée qu’il nous faut nous méfier de l’autre, surtout celui qui vient d’ailleurs et qui nous est différent.

M : « Ouvrier » est un terme positif, « sans- papier » n’indique pas qui est la personne.

JP : Accueillir des visages c’est aussi écouter des récits. Qui prend le temps d’écouter la vie de ces hommes et de ces femmes ? Pour ma part, j’ai entendu des histoires souvent tragiques, parfois invraisemblables.
Comme l’histoire du frère d’Ali. Le jour où il a demandé sa paie, le gars pour qui il travaillait l’a tabassé avec une rare violence. Le frère d’Ali après avoir été hospitalisé a perdu un œil. L’œil du frère d’Ali s’est fermé comme celui de la société qui refuse de voir ce qui se passe dans les cabanes de chantiers.
Voilà à quel genre d’histoire tu es confronté et tout prend alors une autre dimension : des mecs ont travaillé tout l’été sur un chantier et à la fin, on les envoie paître en leur disant : « Si tu la ramènes, je te dénonce à la police des frontières ».

Beaucoup de gens pensent que les sans-papiers pèsent sur les ressources de la collectivité et tu découvres des personnes qui travaillent, qui participent à la construction de notre pays et sont exploitées de façon scandaleuse.
Confronté à ça, tu ne peux plus te poser de question, tu te dois d’être aux côtés de ces personnes et dénoncer haut et fort une telle exploitation.

Nous sommes dans un monde où la violence se démultiplie, où nous sommes soi disant tous connectés mais où dans le même temps nous assistons à la disparition du principe de « la prééminence de l’autre ». Les étrangers sont bien entendu les premiers à faire les frais de cette dissolution des valeurs.
Il faut rager contre toutes ces forces de mort, continuer à lutter, s’engager dans des lieux comme le vôtre, essayer de faire bouger les lignes, surtout ne pas renoncer.

2. François, Jean-Pierre, Brigitte :

F : Depuis un an et demi, je suis en charge de la « Pastorale des migrants » dans le département. Je travaille avec une équipe composée de représentants divers : d’Europe, d’Afrique, d’Asie, etc…
La Pastorale est un service de l’église Catholique. Son but premier est de sensibiliser toute l’église, toutes les communautés chrétiennes à la réalité de la vie des migrants.
Il s’agit également de permettre aux communautés chrétiennes venues de différents continents de s’organiser et de se rencontrer, mais aussi de leur permettre de prendre leur place dans l’église, où ils ont des richesses à apporter, ce qui suppose d’investir dans une formation.
Cela nécessite aussi un travail avec les différentes associations, qui s’impliquent dans l’accueil et la défense des droits des travailleurs en général, et en particulier ceux qui viennent d’ailleurs et dont certains sont sans aucun droit.
Avant que je sois chargé de la Pastorale, Michel, mon prédécesseur, avait créé des liens avec le Rassemblement. J’ai pris la suite tout naturellement.

B : Vous travaillez avec différentes associations. Quelle est pour toi la spécificité du Rassemblement ?

F : Ce que j’apprécie, c’est que rien n’est fait à la place des travailleurs sans-papiers eux-mêmes. Ils sont appelés à se prendre en mains. C’est aussi un lieu où la parole est pesée, écoutée, diffusée, leur parole, pas celle du Rassemblement. L’exemple de Zoubida est parlant : elle dit souvent que malgré sa situation, elle a quand même dépassé la peur.

J’ai une petite anecdote : en 2004, j’ai reçu un ami allemand, responsable d’une association à Berlin, qui voulait voir comment ça se passait sur place ; je l’ai promené partout, on a rencontré le Rassemblement et il a assisté à un rassemblement sur la place du Capitole, sur la question du logement des sans-papiers. Une délégation a été reçue à la mairie et Zoubida en était. Cela dépassait son entendement. Pour lui, qu’une personne sans-papiers puisse être reçue en délégation par les pouvoirs publics, c’était inconcevable. De tout son séjour, c’est cela qui l’a le plus marqué.
Le Rassemblement, donc, travaille à rendre les gens acteurs. C’est ce dont je rêverais pour tous.

Le Rassemblement est impliqué très directement, de façon concrète. Combien de fois quand des gens rencontrés ont des problèmes de papiers, on leur dit : « Va voir le Rassemblement «  ?
Le Rassemblement est un repère dans le quartier, c’est déjà énorme.

JP : Oui, il y a une permanence. J’aime ce mot. Tu peux le décliner de plusieurs façons. Il y a une présence qui s’inscrit dans la durée, une présence incarnée par des hommes et des femmes.
On n’est pas dans un élan de générosité fugitif mais dans quelque chose de durable et constant. Pour moi c’est cela qui caractérise le travail de votre Rassemblement.
Vous avez des piliers solides, des gens sur qui on peut compter, qu’on peut appeler à n’importe quelle heure.

B : Nous avons monté notre organisation sur le mode de la relation amicale ; un ami, on peut compter sur lui, ce n’est pas une connaissance de passage. Nous travaillons aussi à rendre chacun autonome et solidaire des autres.
La question de l’organisation est une question cruciale : comment être organisés ensemble en dehors d’une relation hiérarchique ?

F : Une organisation n’est vivante qui si chacun est aidé à y trouver sa place. Sinon, ce sont les leaders qui décident, et le problème des leaders c’est que s’ils n’y sont plus, il n’y a plus rien.

JP : Oui, cela renvoie à la question de la permanence. Comme le dit François, si ce n’est pas assez structuré, cela repose sur un ou 2 individus, et donc tout risque de s’éteindre.
C’est la même chose pour nous tous : il faut vraiment penser la structure avec et au-delà des personnes.

F : Il faut que les personnes se mettent au service d’un esprit à faire vivre, c’est une remise en cause permanente. Sinon, on passe vite à faire vivre la structure pour elle-même. C’est alors une impasse, même si la structure est nécessaire.

JP : Oui, c’est une autre façon de s’éteindre : le souffle peut s’éteindre sans passage de témoin, et il peut aussi s’éteindre si la structure reste figée sur son fonctionnement, engluée dans la prise du pouvoir.

B : L’organisation tient aussi par ce qui nous unit. Les membres du Rassemblement sont unis autour de principes, en particulier : « Qui vit ici est d’ici »

JP : Pour moi, « Qui vit ici est d’ici », ce n’est pas suffisant.
« Qui vit dans le pays est du pays », ça ne me satisfait pas totalement. Les gens ont un passé, une histoire. Etre du pays, c’est aussi entrer dans une autre réalité, rencontrer un autre passé, une autre histoire. Le sentiment d’appartenance à un pays d’accueil ne va pas de soi.
Maintenant, nous avons tous à migrer vers un futur qui nous est commun quelle que soit l’histoire qui nous précède.

F : Ce principe donne une direction mais ce n’est pas acquis ni pour celui qui vit ici, ni pour celui qui vient d’ailleurs. Je pense à des Portugais par exemple qui viennent dans l’espoir de revenir le plus tôt possible au Portugal . Ils ne se pensent pas du tout d’ici.
Je pense aussi aux jeunes, qui ne savent pas qui ils sont, qui ne se sentent ni d’ici ni d’ailleurs….

C’est en même temps un principe et un projet : Les frontières sont nécessaires en ce sens qu’elles doivent permettre un partage. Les appartenances différentes appellent au partage et à l’échange. Le « ici » doit être compris comme un appel à élargir, à s’ouvrir … Vues comme ça, non comme clôtures, mais comme provocations à l’échange, appel à partager, je trouve l’existence de frontières importantes.
« ICI », je l’associerais aussi à « MAINTENANT », car sinon, on risque de rêver un passé ou un futur. Mais c’est à présent, ici, que j’ai à prendre une décision.

B : Nous avons appelé le journal « Ici Ensemble »

JP : « Ici, Maintenant, Ensemble », voilà ce qui fait sens !

Site du Rassemblement : http://ouvriersgensdici.free.fr

Mail : ouvriersgensdici free.fr

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