De la non violence individuelle - à la non violence d’un pays…OU
Aung San Suu Kyi
« LA DAME DU MYANMAR (Ex Birmanie) »
Daw Aung San Suu Kyi, est une femme politique birmane, figure de l’opposition non-violente à la dictature militaire de son pays, lauréate du prix Nobel de la paix en 1991.
Elle est surnommée « le Papillon de fer » par ses partisans, et « la Dame de Rangoon » par les médias internationaux. C’est une des femmes les plus connues et des plus respectées de la planète. Mais pourquoi ce succès ? Qui est-elle ? Que représente-t-elle ?
Adepte de la non violence de Gandhi, on l’appelle aussi la « Nelson Mandela de la Birmanie » !
En effet, cette femme douce, frêle, élégante, a sans doute une très forte personnalité et un immense courage.
Née le 19 juin 1945 à Rangoun, elle est la fille du Bogyoque (Héros) Aung San, celui qui a su rassembler les différentes ethnies de la Birmanie et obtenir de l’Angleterre son indépendance en 1947. Quelques mois plus tard, il était assassiné par un opposant politique.
L’essai de démocratie dans un pays divisé n’a pas duré 10 ans. Rapidement, une junte militaire installait progressivement et durablement une dictature des plus féroces. Rien n’y fit, ni l’opposition interne (purement et simplement supprimée), ni les pressions internationales, ni le boycotte de tous les pays occidentaux. Pendant plus de 50 ans, la dictature a soigneusement isolé le pays, avec en prime une gestion économique désastreuse qui l’a classé dans l’un des pays les moins développé et des plus pauvres de la planète, malgré des richesses naturelles importantes (mines d’or, cuivre, pierres précieuses, pétrole, bois, terres fertiles …).
Il faut préciser que la Birmanie ou l’Union de Myanmar, est un pays compliqué. Il est composé de 7 groupes ethniques principaux, eux-mêmes divisés en quelques 135 ethnies. La constitution a divisé l’Union en 7 pays et 7 divisions. La majorité de la population est bouddhiste et Birmanne. Les minorités ethniques sont vivantes, les luttes pour l’autonomie toujours présentes et prétextes à la junte pour exercer une poigne de fer ! Avec en sous main un rôle de la Chine non négligeable.
Elevée par sa mère, Aung San Suu Kyi. A fait des études en Birmanie, puis en Inde, en Angleterre et à New York. Elle travaille pour l’ONU. En 1972, elle se marie à un bel Anglais rencontré à Oxford alors qu’il étudiait les civilisations tibétaines. Ils ont 2 enfants et vivent entre le Royaume-Uni et le Bhoutan, pays où son mari fait des études sur l’Himalaya et le Tibet.
C’est en 1988, pour assister sa mère malade, qu’elle rentre vivre en Birmanie.
Cette année-là, le vieux dictateur, le général Ne Win, perd peu à peu le contrôle du pays. Des manifestations pro-démocratiques éclatent dans tout le pays. Le 08/08/88 (l’astrologie est importante dans ce pays), des manifestations étudiantes, des grèves, sont violemment réprimées par l’armée : plusieurs milliers de morts. Une nouvelle junte militaire, le Conseil d’État pour la restauration de la Loi et de l’Ordre, prend le pouvoir le 18 septembre 1988.
Fortement influencée par la philosophie non violente du Mahatma Gandhi, Suu Kyi entre peu à peu en politique afin de travailler pour la démocratisation du pays. Fin 1988, elle participe à la fondation de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), qui promeut des réformes politiques en Birmanie.
L’un de ses discours les plus connus, Libérez-nous de la peur (Freedom from Fear), commence ainsi : « Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur : la peur de perdre le pouvoir pour ceux qui l’exercent, et la peur des matraques pour ceux que le pouvoir opprime… », « Dans sa forme la plus insidieuse, la peur prend le masque du bon sens, voire de la sagesse, en condamnant comme insensés, imprudents, inefficaces ou inutiles les petits gestes quotidiens de courage qui aident à préserver respect de soi et dignité humaine. (…) Dans un système qui dénie l’existence des droits humains fondamentaux, la peur tend à faire partie de l’ordre des choses. Mais aucune machinerie d’État, fût-elle la plus écrasante, ne peut empêcher le courage de ressurgir encore et toujours, car la peur n’est pas l’élément naturel de l’homme civilisé ».
La junte ne voit pas d’un bon œil l’activité de cette femme, mais elle ne peut l’éliminer comme un vulgaire opposant : trop connue, fille du héros national toujours honoré, elle bénéficie d’un important soutien international dont celui de neuf lauréats du prix Nobel et reçoit de nombreuses distinctions internationales, des prix Rafto et Sakharov en 1990 à l’ordre de commandeur de la légion d’honneur française en 2012.
S’instaure donc un jeu de chat et de souris…qui dure jusqu’à ce jour !!!
En 1989, elle est arrêtée par le gouvernement militaire qui lui propose la liberté à condition qu’elle quitte le pays. Elle refuse. Elle sera mise en liberté surveillée, en détention chez elle ou ailleurs… Son mari et ses enfants sont expulsés : ils sont anglais !
En 1997, son mari Michael Aris est atteint d’un cancer. Le gouvernement birman lui refuse le droit d’entrer pour rendre visite à sa femme. Il donne à Aung San Suu Kyi un visa de sortie pour aller le voir à Londres, mais refuse de donner un visa de rentrée ! C’est le piège ! Autorisée à sortir du pays, mais pas à y revenir, elle restera en Birmanie et ne reverra pas son mari, mort en 1999.
Prison, intimidations multiples, attentats réels tuant ses proches, faux attentats, espoir de libéralisation puis remise en résidence surveillée… rien ne l’empêche de parler à son peuple de paix, de liberté, de dignité, de courage.
Des farces d’élections démocratiques, des simulacres de réformes ! On change le nom des principales villes ainsi Rangoun devient Yangoun et on crée dans la jungle de toute pièce une nouvelle capitale Naypyidaw ce qui veut dire « demeure des rois ». On réprime encore dans le sang toute manifestation, même celle des moines en 2007. Mais « la Dame », inlassablement encourage, parle, parle, parle….
En 2008, le cyclone Nargis dévaste le pays, au point que la junte est obligée d’accepter un peu d’aide humanitaire internationale. C’est le début d’une petite ouverture. C’est aussi la promesse d’une nouvelle constitution, feuille de route de la démocratie : pour être président il faudra avoir fait 15 ans dans l’armée et ne pas être ni avoir été marié à un étranger, ni avoir des enfants nés à l’étranger… (voyez qui est visé ???). Mais le Président ne peut être en même temps chef de l’Armée, c’est une avancée démocratique, vite limitée : le chef de l’armée continue de nommer les postes clefs des ministres de la défense, de l’intérieur et des frontières. Il a un droit de Veto sur tous les sujets.
En 2011, la junte militaire s’autodissout, une autre prend le pouvoir, mais des signes d’ouverture sont là. Le nouveau chef du gouvernement, Thein Sein, reçoit Aung San Suu Kyi à Naypyidaw, développe le tourisme, accueille les étrangers et renoue les relations diplomatiques avec le reste du monde ! Des routes, des aéroports, des hôtels sont construits.
L’ambargo des USA et de l’UE est suspendu, les relations commerciales, jusqu’alors réservées à la Chine en échange d’armes, reprennent. Les sanctions sont levées.
En 2012 des élections partielles ont lieu, la LND gagne 43 sur les 44 sièges qu’elle briguait, Aung San Suu Kyi est élue député. Tous les espoirs sont permis ?
Le Bonheur ? « La Dame » reste prudente : il faut changer la constitution pour arriver à une véritable démocratie. L’armée peut reprendre le pouvoir quand elle veut. Aung San Suu Kyi qui a annoncé qu’elle serait candidate à la présidence en 2015, ne pourra être élue que si les discriminations qui la visent sont levées… Nul ne sait l’avenir.
Bien qu’adulée dans son pays, elle a toujours fait l’objet de violentes critiques, de calomnies même. De par la Junte, d’abord, qu’à l’évidence elle gène. Puis plus récemment de certains de ses partisans, qui lui reprochent de trop s’afficher avec les généraux, ses ex ennemis toujours au pouvoir, ou de ne pas être intervenue dans le conflit récent avec les Rohingyas, ethnie minoritaire musulmane d’origine indienne, en errance, reconnue ni par les birmans ni par les indiens, et récemment massacrée par des moines bouddhistes.
A l’occasion de son voyage en Australie fin novembre, elle s’est expliquée : « l’étape la plus délicate de toute transition est lorsque nous estimons que le succès est en vue : ne pas se laisser aveugler par le mirage de la réussite ». Elle ne peut donner aucun signe qui donne prétexte à un retour en arrière brutal, toujours possible. Elle est lucide et courageuse, cette grande Dame !
Et son pays est beau, magique, étonnant, étrange. Il fait rêver ! 1fois ½ la France, il est traversé par un immense et important fleuve, l’Irrawaddiy, qui prend sa source dans l’Himalaya et se répand dans un immense delta propice à la culture du riz, dans le golf du Bengale. Du nord au sud, 2710 km de long dont 1700 de navigables. Entre plaines, fleuves, plateaux, mer et montagne, de vastes lacs en altitude ont l’air léger et frais malgré le climat tropical, une végétation luxuriante, des terres fertiles mais travaillées à la main… Des grandes villes comme Rangoun ou Mandalay, beaucoup de petits villages en bambou sur pilotis, des zébus et des buffles en guise de tracteurs.
Partout, mais alors partout, des milliers, des centaines de milliers de pagodes dorées, des grandes, des petites, des anciennes, des modernes, des bulbes tout simples ou des influences kmers ou indiennes, avec aussi leurs divinités tutélaires plus ou moins symboliques des Nats, les esprits, les déesses, les lions, les serpents, les dragons, les éléphants, toutes actes de foi et hommages à Bouddha. Des monastères et des moines partout aussi… Tout Birman fait pendant sa vie plusieurs séjours plus ou moins long dans un monastère, ce qui implique de mendier sa nourriture tous les matins. Redécouvrir l’interdépendance ? La solidarité ? Façon aussi d’apprendre à lire et à écrire, ou à penser….
Tout cet or ! Toute cette richesse ! Tout cet art ! Toute cette foi et toute cette population, très pauvre, qui tous les jours vient malgré tout déposer ses offrandes, de la feuille d’or au bol de riz ou de la fleur fraichement cueillie… ça nous fait réfléchir, nous les occidentaux !
Avec ces paysages immenses et apaisants, entre brume et soleil, une population qui vous accueille partout avec bienveillance et gentillesse, même si la barrière du langage est là… on comprend que la Birmanie ait toujours fasciné le voyageur.
Je vous l’assure, je l’ai vu, pendant 15 jours. Voilà pourquoi je me suis autant intéressée à Aung San Suu Kyi et je vous conseille de lire ces livres* qui m’ont passionné. Bien sûr je n’ai pu voir qu’une partie choisie pour les touristes étrangers, et le pays est si vaste, les distances sont longues et même si les routes sont à péage, il faut compter 4 heures pour faire 175 km….
Le pays des rêves, le pays des contrastes, violence et non violence….
Je ne peux ni prédire l’avenir, ni analyser vraiment ce qui se passe sous nos yeux, ni savoir ce qui adviendra d’elle !
Née en 1945, elle a donc 68 ans.
Même si elle n’a jamais pu exercer de pouvoir politique entièrement aux mains de l’armée, elle a, par son action non violente persévérante, influencé et convaincu 80 % de la population que la violence n’engendre que la violence.
Seule réponse pour la paix et la démocratie : la non violence !
Quelle leçon pour Noël 2013 !
Bibliographie :
Aung san Suu Kyi Demain la Birmanie de Jean Claude Buhrer et Claude B. Levenson-Ed.Ph Picquier.
Ma Birmanie (avec Alan Clements), Pluriel, Paris, 2012 (nouvelle édition revue et actualisée).
Se libérer de la peur (avec son mari Michael Aris), Des femmes-Antoinette Fouque, 1991.
Résistances (avec Stéphane Hessel), Don Quichotte, 2011.