Nous vivons le temps des grilles.
Grilles horaires d’un côté, grilles de salaires de l’autre, grilles surtout qui découpent nos villes et nos vies.
A Toulouse, les résidences, les jardins, les cités, les ensembles s’équipent de fermetures, de barrières, ou de portails plus ou moins automatiques. L’espace s’émiette. Les portes se dressent. Les séparations se multiplient.
On veut la sécurité.
« Pensez aux enfants » m’a dit un homme de mon immeuble quand je tentais de discuter l’édification d’un portail vert.
Le désir de sécurité réclame la fin des passages. On se méfie des ouvertures. On est prêt à payer le prix qu’il faut pour s’équiper de barreaux. On brise ainsi l’espace en petits lieux quasi hermétiques où l’on espère n’avoir plus peur.
Montaigne avait écrit : « je ne peins pas l’être, je peins le passage ». On voudrait désormais sauver son être en obturant les passages. Chacun doit avoir des clefs, des codes, des digicodes. Les sociétés de pose de barrières automatiques font leurs choux gras. Les Résidences sécurisées ont la côte. Les acheteurs de pavillons sont d’abord des acheteurs de grilles, de grillages, de portails, de chiens aboyeurs et de caméras de surveillance. Qui marche entre leurs innombrables constructions se trouve seul entre les clôtures. Les rues sont l’espace subsistant pour rouler de grille en grille.
Se forment ainsi de petits territoires où l’aventure, l’inconnu, l’étranger, le souffle vif, mais volontiers maudit de l’autre sont interdits. Les grilles disent le refus de la rencontre. Aujourd’hui, elles rendent visible le corps social coupé en morceaux.
L’autre jour, je me promenais dans un terrain plus ou moins vague, à Bagatelle, vers la Maison de quartier. Je fus abordé par des êtres humains. Ils s’étonnaient de ma promenade. Quel bonheur, cette rencontre ! Parfois, les quartiers dits sensibles, ont moins de grilles que d’autres. C’est peut-être un signe de leur santé… A Bagatelle, nous échangions. Vivent les terrains plus ou moins vagues, les places quelque peu vagabondes, les territoires sans portails. Mais la grille affirme l’horreur du vague, des coursives, et des places.
Dans plusieurs quartiers de Toulouse, par exemple place Pinel, elles quadrillent même les anciennes places, en les divisant en aires, en espaces, en terrains. Il s’agit de protéger les enfants, ou des crottes de chiens, ou les personnes âgées. Le résultat est un labyrinthe, qui doit cacher, sous l’air tranquille, quelque monstre.
Ce monstre, c’est la peur. Peur de l’autre, peur des souffles, peur de la mort. On pose des grilles par refus de mourir. Mais on oublie, en les fixant, que ceux qui ne savent pas mourir sont déjà morts. De la mort, un grand poète français - Malherbe - écrivait : « La garde qui veille aux barrières du Louvre, n’en défend point nos rois ».
En multipliant les grilles, nous espérons devenir des rois en sécurité, et protégeant nos enfants-rois. Mais nous sommes des rois pleins de misère.