Depuis 20 ans, les résidences sécurisées se sont développées en France, au point de représenter aujourd’hui plus de 12% des constructions neuves de l’hexagone et les 2/3 des ventes d’appartements de l’agglomération toulousaine. Et c’est ici, à deux pas du Mirail que les grilles, les caméras et les digicodes sont apparues pour la première fois.
Au sortir de la crise immobilière des années 80, Toulouse doit faire face à un afflux massif de population. La ville rose et ses avions attirent chaque année plusieurs milliers de nouveaux habitants. La ville cède alors des terrains vierges aux promoteurs. Ces terrains sont dans des secteurs à priori peu attractifs : zones éloignées mal desservies par les transports en commun ou, bien encore à proximité du quartier déjà considéré comme sensible du Mirail.
« Non seulement les terrains sont dans des quartiers peu attrayants. Mais en plus la mairie, parce qu’elle ne veut ni augmenter la pression fiscale, ni s’endetter, ne construit aucun équipement public sur ces nouveaux territoires, commente le sociologue Nicolas Golovtchenko. Pour attirer leurs clients, les promoteurs doivent donc y suppléer en créant à l’intérieur des résidences les parcs, les piscines, les équipements de sport manquants. »
Le promoteur Monné-Decroix a l’idée d’importer des Etats-Unis, le concept de résidence fermée sécurisée. Ce concept assurera ensuite sa fortune, et tous ses concurrents lui emboîteront le pas. Les promoteurs sont des financiers, pas des philanthropes. La fermeture de la résidence s’impose alors pour rendre ces équipements de loisir privatifs. Pour Monné-Decroix et consorts, la sécurité devient un argument de vente supplémentaire.
La fermeture s’est banalisée
« Il faut se replacer dans le contexte du début des années 90 et du développement du sentiment d’insécurité, souvent déconnecté des réalités locales, complète le géographe, Bruno Sabatier. Les appartements étaient souvent achetés par des investisseurs pour bénéficier de réductions d’impôts. Pour un propriétaire lointain, la fermeture, c’était la garantie de louer facilement un appartement près du Mirail ou dans une ZAC au nord de Toulouse. Aujourd’hui, avec le développement des interphones et autres digicodes, l’exigence de sécurité s’est banalisée et la géographie des résidences fermées recoupe celle de la construction neuve. ». 70% des appartements proposés à la vente dans l’agglomération toulousaine sont en résidence sécurisée.
« Ces immeubles ont été souvent considérées par les journalistes et les chercheurs comme les lieux de repli communautaire, constate Nicolas Golovtchenko. C’est faux. La typologie des habitants est identique à celle du reste de la ville, si l’on excepte les quartiers d’habitats sociaux, très concentrés comme le Mirail. On y trouve des retraités, des jeunes cadres, des étudiants qui cohabitent, exactement comme dans le reste du parc immobilier privé. »
Des habitants comme les autres
Si certains résidents reconnaissent du bout des ongles que les grilles et la surveillance des accès les rassurent, la plupart des habitants disent avoir choisi ce type d’habitant pour ses équipements.« La terrasse de mon appartement baigne dans les pins, je suis au calme, j’ai une piscine, un cours de tennis à ma disposition pour un loyer équivalent à celui d’un appartement en centre-ville et je suis à mois de 10 minutes à pieds d’une station de métro » explique Ornella, une jeune cadre, qui loue un appartement aux Pradettes, une pépinière de résidences fermées, à moins de 2 km du Mirail.
De l’autre côté de la rue, dans une autre résidence, Liliane, la cinquantaine, vit avec son chat dans un T1bis dont elle est propriétaire. Liliane a d’abord loué ici par hasard mais elle a décidé de planter ses racines dans ce parc arboré qu’elle n’a pas le soucis d’entretenir.
Quant on l’interroge sur l’aspect sécurisé de la résidence, Liliane sourit. « le régisseur sort les poubelles et réceptionne les colis, les digicodes, les caméras à l’entrée, c’est pipeau. Les voitures sont visitées régulièrement. Ce qui me rassure c’est d’être dans une petite résidence où je connais mes voisins. »
« La sécurité, ça a été un argument de vente des promoteurs. Ces derniers ont clos les espaces pour préserver du vandalisme ou des invasions intempestives les espaces verts et les équipements de loisir, avec une efficacité tout relative d’ailleurs. Dans le même temps, un mouvement général de fermeture s’est installé dans l’immobilier. Il y a 20 ans, on pouvait pénétrer dans toutes les cours des hôtels particulier du Vieux-Toulouse maintenant c’est fini. », commente Nicolas Golovtchenko.
Et en dehors de coups de gueule de quelques intellectuels, on n’a pas assisté à de grands mouvements de protestation contre cette privatisation de l’espace public. Pas plus, il y a quelques mois, contre l’installation de la vidéo-surveillance dans le centre-ville de Toulouse. Les Toulousains se sont-ils résignés à vivre sous l’œil de Big Brother ?